Le prochain match de Coupe Davis va arriver très vite (5 au 7 avril) , Fréderic Fontang est un témoin privilégié après avoir entrainé des joueurs de Coupe Davis de deux pays (France et Canada). Laissons lui répondre à nos questions sur le sujet :
Retour sur cette superbe épreuve, qui n’est pas jouée par tous les meilleurs joueurs, qui font souvent l’impasse pour se ménager de périodes de repos dans une saison très longue.
« Parole de coach » ouvre ses colonnes sur cette épreuve unique par équipe dans ce milieu si individuel qu’est le tennis.
Frédéric Fontang a entrainé des joueurs, en France avec Jérémy Chardy et actuellement au Canada avec Vasek Pospisil, qui joue contre l’Italie ce week-end du 5 au 7 Avril.
Il nous fait le plaisir de répondre à nos questions:
Coupe Davis, un avis d’expert: Fréderic Fontang
Q: Comment expliquez-vous la réussite du Canada dans cette rencontre de Coupe Davis contre l’Espagne?
Le Canada a certes bénéficié du forfait des meilleurs joueurs Espagnols mais à domicile et en Indoor, nous savons que Milos Raonic peut battre n’importe qui. Vasek Pospisil ou Frank Dancevic en position numéro 2 pour le simple sont tous deux capables de s’imposer sur des top 20, et ils l’ont déjà fait.
En outre, leur équipe de double est très performante car Daniel Nestor est membre du top 10 depuis de longues années.
Il faut noter que la stratégie et les efforts de Tennis Canada avec toute l’équipe autour de Luigi Borfiga commencent à payer chez les Pros et les Juniors.
Q: La Coupe Davis est une compétition particulière pour un joueur de tennis. En équipe, représentant son pays, le joueur se plie au fonctionnement de son groupe et aux demandes de son capitaine. En tant qu’entraineur d’un de ces joueurs, comment vous vous situez, et quel est votre rôle avant, pendant et après le week-end de compétition?
Généralement, les joueurs se réunissent une semaine avant le début de la compétition pour faire un stage. Le rôle de l’entraîneur personnel est de donner un maximum d’infos au capitaine et à l’entraîneur de l’équipe afin de rester dans la continuité des habitudes du joueur. Je suis en rôle de soutien avec mon joueur en communiquant par téléphone et par mail pendant la préparation et la compétition.
Après la rencontre nous reprenons le fonctionnement normal avec une attention particulière portée sur la récupération car la Coupe Davis demande beaucoup d’énergie sur le plan physique mais aussi émotionnel.
Q: Le joueur fonctionne-t-il de manière similaire que pendant le reste de l’année, ou garde t-il les mêmes habitudes ?
Les Capitaines et entraîneurs sont vigilants à rester proches du fonctionnement que les joueurs adoptent tout au long de l’année, ils essayent surtout de créer un état d ‘esprit de groupe, des valeurs collectives afin que chacun puisse se donner à fond
Q: Y a t-il une préparation spéciale pour le Coupe Davis ?
Je ne crois pas, chaque joueur est tellement pris par sa programmation individuelle, par contre il est important que le capitaine et entraîneur de Coupe Davis soient régulièrement au contact des joueurs et entraîneurs tout au long de l’année pour s’imprégner du fonctionnement de chaque joueur.
Q: Dans d’autres sports, il y a un gros travail de préparation, en analysant les équipes et les habitudes des joueurs? Qu’en est-il en tennis ? Y-a-t-il utilisation de logiciel analysant les matches et le jeu des futurs adversaires ?
Personnellement je regarde les matches du futur adversaire, je prends des notes sur chaque joueur, mais contrairement aux sports collectifs nous avons moins de moyens et le temps pour réaliser des analyses en profondeur avec toutes les statistiques.
A ma connaissance il n’existe pas encore de logiciel spécifique tennis permettant une analyse tactique fine de façon automatique.
J’utilise dartfish essentiellement pour le travail technique.
Q: Comment vivre l’ambiguïté de tout faire pour votre joueur se réalise pleinement en donnant le maximum, et garder privé les « secrets » de votre fonctionnement ? En tant que coach privé, comment faites-vous concrètement pour partager avec le capitaine, et l’entraineur terrain de la Coupe Davis. ? Est ce qu’ils vous posent des questions ? Est ce que vous demandez de parler avec eux ? Est-ce oral ou par écrit, au téléphone ou dans une rencontre ? Parlez-vous technique, tactique, …? Quelles sont les lignes directrices de votre communication avec eux ?
J’ai vécu 2 situations différentes, l’une lorsque je m’occupais de Jeremy Chardy puis actuellement avec Vasek Pospisil qui a joué pour le Canada contre l’Espagne fin janvier (victoire 3/2), et qui sera en quart à domicile face l’Italie .
Lorsque Jeremy Chardy a été sélectionné en 2009 avec l’équipe de France de Coupe Davis pour affronter la Hollande, j’avais une fonction d’entraineur privé.
Avant la rencontre, j’ai régulièrement échangé avec Guy Forget (capitaine équipe de France) et Lionel Roux (entraineur équipe de France) sur les habitudes et besoins de Jeremy afin de les aider à mieux connaitre le joueur et le préparer au mieux pour les matchs sans pour autant rentrer dans le détail des objectifs et contenus car le tennis est malgré tout un sport individuel dans lequel chacun garde secrètes ses méthodes d’entrainement.
A cette époque, les règles de l’équipe de France étaient que l’entraineur du joueur pouvait être présent lors de la rencontre afin d’assister aux matchs mais sans interventions lors des entrainements et il n’était pas présent lors des stages de préparation. Cependant Guy Forget n’hésitait pas à ouvrir un espace avant le match afin qu’entraineur et joueur puissent échanger, afin que ce dernier soit dans les meilleures dispositions mentales.
Aujourd’hui, la Configuration est différente avec Vasek Pospisil, mon employeur est la Fédération Canadienne.
Je partage tout au long de l’année avec dirigeants et entraineurs de Tennis Canada sur les objectifs, les méthodologies, moyens et contenus des entrainements de Vasek. Lors des stages et rencontres de Coupe Davis, ce sont le Capitaine Martin Laurendeau et l’entraineur Guillaume Marx qui encadrent le joueur.
Q: Comment vivez-vous d’être à l’écart physiquement dans le contexte de Coupe Davis ou de Fed Cup en France pendant la semaine précédente et le week-end de coupe Davis ? Est ce frustrant de voir son joueur jouer sans pouvoir le voir ou lui parler librement?
Est-ce une situation similaire dans d’autres pays que vous connaissez ?
Par rapport au niveau des joueurs dont je me suis occupé, c’était malgré tout une bonne chose d’avoir une petite coupure et que le joueur soit confronté à un autre environnement, il peut apprendre du staff et profiter de la synergie positive que crée la Coupe Davis, même s il était nécessaire de recaler certaines choses lors du retour en mode préparation individuel.
Cependant pour des joueurs du Top 10 je pense que l’entraîneur, voire le staff habituel du joueur, doit être intégré dans le staff de la Coupe Davis car pour atteindre les objectifs élevés, ce genre de joueur doit garder le cap sur son fonctionnement personnel, ce qui peut aller pour certains jusqu’à ne pas jouer l’épreuve.
Il y a effectivement certains pays qui acceptent que les entraîneurs privés soient intégrés avec le staff Coupe Davis.
Q: Comment situez-vous le Coupe Davis dans l’agenda du joueur de tennis de haut niveau ? Et dans une carrière est-ce une étape incontournable pour être un champion ?
C’est incontournable, sauf pour les tous meilleurs qui l’intègrent ou pas dans leur programme de compétition en fonction de leurs objectifs individuels . C’est une épreuve mythique et encore très médiatisée et elle est une source de revenus très importantes pour les joueurs.
Il faut aussi rappeler qu’elle donne des points qui sont comptabilisés pour le classement ATP.
Q: Avez-vous envie d’avoir une action dans une équipe type Coupe Davis ou Fed Cup en France ou à l’étranger ? Être entraineur ou capitaine ?
Pourquoi pas après en avoir terminé avec ma phase d’entraîneur sur le circuit! C’est un autre métier, peut être un peu plus politique, pour l’instant ce n’est pas ce qui m’intéresse.
Q: Vous soulignez une différence majeure d’entraineur privé et d’entraineur de fédération pour la communication avec la fédération du joueur. Qu’est ce que vous préférez, tout le long de l’année, être « privé » ou « fédé » ?
J’ai fait mes armes en tant qu’entraîneur privé avec J.Chardy, il faut beaucoup d’énergie, faire des sacrifices importants, savoir s’entourer de compétences, c’était une belle aventure, on apprend beaucoup, on est libre de ses choix, une petite structure privée a l’avantage de pouvoir réagir vite, de faire les ajustements rapidement.
Lorsqu’on travaille pour une Fédération, il y a des moyens financiers qui rendent les choses plus faciles, il y a moins de pression par rapport à l’argent, mais on est aussi moins libre dans certains choix, il faut avoir l’aval des supérieurs et parfois coller à une certaine façon de faire qui ne nous convient pas.
Avec le recul, l’idéal serait d’avoir les conditions matérielles d’une Fédération avec la liberté de fonctionnement que j’ai eu en tant qu’entraîneur privé, et je constate agréablement que ce que je vis avec Vasek Pospisil et Tennis Canada s’en rapproche beaucoup !!!!