12 jours déjà…
15 secondes qui bouleversent les plans, les objectifs, les certitudes…
12 jours en survie… Comme entre parenthèse, comme en flottement…
Et cette sensation de « Vide », …
Vide de l’intérieur. Mais pas vidé……
Je me sens détaché de la réalité, et pourtant je sens de l’énergie, je me sens bien…mais quelque chose me retient de bouger et d’être actif… Mon esprit navigue à vue…ma concentration est éparpillée…
Comme déraciné… Absent, pas centré, … pas ancré dans la terre…
Je sais que quelque chose ne va pas…mais rien ne le montre vraiment extérieurement…
Une bombe à retardement…
Moi aussi, j’aurais du trembler….je devais vibrer…
Et rien, ou si peu de choses…
D’abord, un départ pour une compétition que j’attendais depuis longtemps, les championnats du monde vétérans, en 50 ans, que j’avais vraiment envie de jouer … et de gagner…
Le début de la compétition avec une victoire et la perspective d’être médaillé vu le tableau et surtout d’aller au bout car la victoire était possible…
Ma passion, le plaisir de l’équipe et du sport…
Ensuite ce sera les individuels … Et montrer ce que je sais encore faire sur un court…le plaisir de jouer…
Des objectifs qui me donnaient envie et confiance …
Et puis ….
15 secondes qui ont fait tout basculer…
Des murs qui bougent,
Le bruit sourd …des vibrations qui s’amplifient sous les pieds, …. Un roulement terrible qui semble ne pas s’arrêter…
Une sensation comme dans des turbulences en avion…avec le son… Les bruits des tableaux qui tombent, des placards qui s’ouvrent, des murs qui craquent, de la vaisselle qui se brise …
Sur ma chaise, les mains sur la table, j’ai su de suite…. Un tremblement de terre
… Comment je l’ai vécu?…
…tranquillement,
… sensation assez bizarre, de calme, détachement,
… même quand cela commencé à trembler, je l’ai dis à mon camarade Patrick et nous sommes restés étonnamment calme pendant ces 10/ 15 secondes de la secousse… Peut être plus… On perd la notion de temps… et pourtant nous étions dans la chambre d’hôtel…
Beaucoup d’autres joueurs ont crus voir leurs dernières secondes… Surtout ceux qui étaient debout, car il ne pouvaient pas y rester…
Même après, je n’avais pas envie de sortir de la chambre…comme si ce n’était rien…
Et cela me perturbe beaucoup plus maintenant, plus de 10 jours après… Pourquoi suis je si vide et en flottement?
… Dans les instants suivants, j’ai vu des personnes traumatisées. Hagardes, en attente, en fuite … D’autres sereines…
Comment j’étais? Serein? Apparemment… Mais en surface… Je sais que ce n’est pas normal…
Très vite, j’ai traversé les journées suivantes dans l’énergie du groupe et l’attention aux autres…en m’oubliant …
Je vivais pour les autres…
Take care of yourself, take care of others… Je l’ai lu dans le journal… Je ne le fais pas assez pour moi….
J’ai l’impression d’avoir été coupé… Coupé des mes émotions naturelles… La peur, que j’ai si souvent cachée… Que je transformais en colère… Mes années de travail sur moi me l’ont fait comprendre…. Oui, Je sais qu’elle est là et qu’il faudra l’évacuer …et pourtant… Tout va si bien…
Il était si important de rester en groupe, ce groupe des 4 équipes venues pour jouer à Christchurch… 19 membres. Laissé à eux même, … A nous, de devoir trouver notre organisation pour s’en sortir…. Des rôles qui se dessinent, pour l’organiser du mieux possible…
Comment réussir à déconnecter, apaiser les plus tourmentés, et préparer leurs retours …
Et moi dans tout ça?
Moi, je suis resté un peu avec Xavier et Ken pour quelques jours pour visiter et
J’ai 15 jours de travail avant mon retour le 20 Mars en France…
Après le départ du groupe, un besoin de voir la nature, au calme,… Voir les paysages magnifiques, …renouer avec la terre…
Au fur et à mesure que j’écris, … Maintenant, enfin, je sens une forme de peur m’envahir…les jambes faibles, qui flageolent…un nouée au ventre… La peur qui m’évitait depuis …. Cela fait du bien… Je vais pouvoir me retrouver
C’est quoi ce tremblement de terre?
Magnitude 6.3 à 12h51… Puis 13h04 5.7 et 5.9 à 14h50 … Les aftershocks comme on les appelle…les répliques…. Des centaines moins fortes, de 3, 4 à 5 d’intensité. Et puis la liquéfaction, ce processus qui fait que l’eau du sol ressort de partout, créant une des cratères de boue… 150 000 tonnes qui devront être nettoyés…
Et des sans abris…
Et près de 300 morts, …avec leurs histoires que l’on retrouve dans les journaux chaque jour…
Une ville dévastée, vidée de son centre…
L’hôtel a tenu…mais juste avant j’étais dans l’internet café, près de la cathédrale…qu’en reste t’il? Et la marche pour revenir à l’hôtel, le long des immeubles en brique du centre ville… Et si cela avait été à ce moment là que tout se déclenchait?
Et non, il ne s’est rien passé…
Je n’ai rien… Je suis vivant, en bonne santé…
Une chance d’être là, maintenant sans rien, pas une éraflure,… Alors que d’autres ont vu leur immeuble s’effondrer, des pierres tomber … La mort…
Être là ou pas là…être au bon endroit au bon moment, mais surtout pas au mauvais endroit … Car il n’y a pas signe, avant, que de la fatalité dans ce drame.
Un tremblement qui se déclenche, et si je suis dans un building qui s’effondre, la mort m’attend peut être et si mon building tient, il ne se passe pas grand chose, juste du bris matériel autour….
Moi, rien … pas, même une émotion. Je vais bien…
Et pourtant… ce bizarre sentiment de vide qui se poursuit, ce comportement coupé d’émotions naturelles dans ces moments qui devraient être une peur…de la panique, comme j’ai vu dans les regards des autres…
Cela va mieux …plus j’écris, plus je me sens mes jambes plus chaudes, plus vivantes, et j’ai envie de pleurer…. De joie
« Il court, il court le temps qui passe…à deux cent à l’heure, si on s’aime bien, il faut que l’on s’embrasse »
Je sais aussi que je suis en suspens … Car il me manque ma raison de vivre…
Que je retrouverais … Et que j’embrasse si fort…
Ce que je vis? …
Tout simplement, peut être, un stress post traumatisme?
Normal… Après un tremblement de terre…
Jour + 13…. Grippe et HS sur toute la ligne….mon corps réagit donc…
Fini le lendemain…comme quoi le corps a bien réagit …
Maintenant je peux repartir…